Chénopode Blanc

Antje Majewski

Deux photographies de vues urbaines se partagent près des deux tiers de l’affiche. On y voit, outre des véhicules et des immeubles d’habitation, une même plante qui a trouvé sa place au milieu de l’asphalte. Son nom se retrouve décliné en dix appellations plus ou moins vulgaires en haut à gauche de l’instruction, dans un rectangle vert. Communément appelée "Weisser Gänsefuss" ou "Chénopode blanc" en français, cette plante est largement considérée comme étant une mauvaise herbe.

Antje Majewski, par ses photographies, transmet son étonnement et son admiration pour cette plante "parasite". En plus de proposer une réflexion sur la notion de “mauvaise” herbe, elle incite à questionner le regard que nous portons sur les différents végétaux de la ville. Capable de pousser dans le moindre interstice, le Chénopode blanc peut atteindre en quelques mois près de deux mètres. La multitude des noms de cette plante, aussi appelée Ansérine blanche, montre à quel point elle a impacté la vie de certains cultivateur.trice.s, victimes de son caractère parasitaire. Alors que la plupart des citadin.e.s n’y prêtent plus attention, elle devient un sujet d’émerveillement pour Majewski, qui invite dès lors les spectateur.trice.s à lui trouver un nouveau nom.


Réponse d'une scientifique à l'instruction "Chénopode Blanc" de Antje Majewski :


Chère Antje Majewski,

Vous avez bien raison de défendre Chenopodium album L. Non seulement ce n’est pas une “mauvaise” herbe, mais à vrai dire, la notion même de “mauvaise herbe” n’existe ni en botanique ni dans aucune des sciences pointues qui étudient le monde végétal (physiologie, biochimie, génétique, écologie, etc.).

Cette notion a d’autant moins de sens que la Nature "s’organise automatiquement" de telle manière que TOUS les organismes vivants ont un rôle à jouer dans le fonctionnement des écosystèmes auxquels ils sont liés. S’il y a des couacs dans les rouages du système, ce peut être la faute de catastrophes naturelles (éruptions volcaniques, tremblements de terre, etc.). Mais le plus souvent depuis quelques siècles, c’est l’Humanité qui porte la responsabilité des désordres créés.

En fait, cette jolie plante aux inflorescences élégantes est d’une grande banalité. Répandue un peu partout sur la planète, non menaçante ni menacée, elle fait partie de ces courageuses qu’on appelle pionnières ou rudérales. Cela signifie que là où rien ne pousse, elle parvient à s’installer et à générer localement une biodiversité inattendue en offrant des conditions de vie à d’autres organismes tous liés à elle et entre eux. On est loin de la liste noire des néophytes (espèces introduites) envahissantes qui, grâce à la complicité humaine, délogent toutes les plantes indigènes, telle la Renouée du Japon qui envahit les rives des lacs et des rivières.

En pleine nature, le chénopode aime les sols argileux nus des zones alluviales ou les lisières riches en azote. Mais le terrain de jeu de cette plante modeste s’étend aussi volontiers dans des lieux moins prestigieux et pollués, en friche ou trop riches en azote : gravats de chantier, fentes dans les trottoirs, bords de routes, etc.

Dans la plupart des régions occidentales, Chenopodium est chassé des jardins et des cultures avec acharnement sous prétexte d’entrer en compétition avec les plantations. C’est en revanche loin d’être le cas dans d’autres régions du monde où on lui reconnaît des facultés exceptionnelles : une valeur nutritive indéniable (graines, parties vertes en tant que légume) qui en fait un produit cultivé en Afrique et en Inde, et de multiples bienfaits médicinaux, reconnus notamment en Asie.

Soyons optimistes, la manie du propre en ordre qui caractérise ce besoin absolu de maîtriser la nature fait progressivement place à la conscience du besoin de préserver la biodiversité pour la survie de la planète. Votre message, chère Antje, le démontre et en constitue une étape prometteuse.

Raphaëlle Juge, écologue et biologiste.

  • Chénopode Blanc

    Antje Majewski, Weisser Gänsefuss, instruction d’artiste, 2021

  • Chénopode Blanc

    Antje Majewski, Weisser Gänsefuss, instruction d’artiste, 2021